C’est un périple basque et un match de la Real Sociedad qui m’ont conduit à découvrir le lendemain la ganadería de Los Maños. Dirigé par José Luis Marcuello, le fer aragonais est désormais un incontournable des arènes françaises, notamment dans le Sud-Ouest, où il est particulièrement lié aux arènes de Bayonne, Parentis ou Vic-Fezensac.
Située à deux heures et demie de Zaragoza et de San Sebastián, la finca « Vistahermosa » abrite tous les toros, novillos et becerros de la ganadería. Les vaches et sementales, eux, se trouvent dans une autre finca près de Zaragoza.

À 800 mètres d’altitude, José Luis Marcuello élève du bétail d’encaste Santa Coloma, lignée Buendía. Une histoire de famille, initiée par son père dans les années 70, comme nous le raconte le ganadero :
« En 1977, mon père élevait déjà du bétail, mais destiné exclusivement aux festejos populares. Aujourd’hui, à 80 ans, il reste le chef incontesté et vient encore tous les jours. En 1988, il a créé le fer de Los Maños à partir d’un lot de 40 vaches et d’un étalon de Pablo Mayoral, pur Buendía. C’est à partir de cette sélection que nous avons forgé le comportement des toros de Los Maños. En 2007, nous avons rafraîchi le sang de l’élevage avec 20 vaches et 2 sementales de Bucaré. Aujourd’hui, l’influence de Bucaré est majoritaire : tous nos étalons en sont issus, et nous avons éliminé le semental de Pablo Mayoral. »
Une ganadería d’encaste Santa Coloma qui perdure au sein d’une famille d’entrepreneurs de Zaragoza. Si José Luis est le responsable de la ganadería, les activités familiales s’étendent à d’autres secteurs : « Los Maños est avant tout une affaire de famille. Je suis le gérant de la ganadería, tandis que mon frère, ma sœur et un cousin dirigent notre entreprise de carrosserie industrielle à Zaragoza. Chacun a son rôle, mais lorsque l’un de nous a besoin d’aide, toute la famille répond présent. »

Élever du Santa Coloma n’est pas évident. C’est par une sélection rigoureuse que les toros de Los Maños ont marqué les arènes où ils ont été lidiés. José Luis Marcuello nous explique les enjeux des tentaderos, épreuve de sélection des mères reproductrices :
« Ce que nous recherchons chez Los Maños, c’est l’humiliation (mettre la tête). L’objectif n’est pas d’avoir des vaches qui encaissent 100 muletazos, mais des vaches qui baissent correctement la tête. L’encaste Santa Coloma est particulier : si les vaches chargent à mi-hauteur, les toros risquent de garder la tête haute et de ne pas s’impliquer. C’est une tendance naturelle chez Santa Coloma, contre laquelle nous devons lutter. »
Une sélection minutieuse menée en duo avec son père, encore très impliqué malgré son âge : « Pour la sélection, mon père continue de choisir avec moi. Mais au final, lorsque nous comparons nos notes, nous avons souvent le même avis. C’est lui qui m’a tout appris. » Il souligne aussi l’importance de cet aspect dans l’identité de son élevage : « La sélection est la clé d’une ganadería. Le ganadero façonne le comportement de son bétail, mais l’alimentation joue aussi un rôle crucial : c’est elle qui conditionne les toros. Tous ces paramètres sont indissociables. »

Concernant la camada, José Luis Marcuello décrit le toro de Los Maños comme « bas et avec peu de tête. » Des caractéristiques qui ne séduisent pourtant pas les figuras, peu enclines à affronter les toros aragonais. Ce qui nous amène aux difficultés d’élever cet encaste si particulier : « Aujourd’hui, il est difficile d’élever une ganadería d’encaste Santa Coloma, car cela va à contre-courant du reste du milieu. Notre seul atout, c’est l’afición. Si notre ganadería procure de l’émotion, nous avons le soutien des passionnés. Mais les toreros n’en veulent pas, et les vétérinaires ainsi que les présidents posent souvent problème lors des reconnaissances : ils trouvent nos toros trop petits, trop légers ou pas assez armés. C’est compliqué, surtout pour entrer dans des arènes de première catégorie. »
Dans les arènes françaises, les novillos de Los Maños sont désormais des incontournables. José Luis Marcuello se rappelle des débuts de sa devise : « La France a joué un rôle majeur dans l’histoire de notre ganadería. Nos premières arènes françaises furent Aire-sur-l’Adour, Vergèze et Fourques. Nous avons lidié de nombreuses corridas et novilladas importantes, notamment à Vic-Fezensac, Bayonne et Céret. »
Malgré le succès, la ganadería reste volontairement à taille humaine : « Notre camada est réduite, ce qui nous empêche de lidier dans beaucoup d’arènes. Et nous n’avons jamais eu l’intention de l’agrandir. » Cela entraîne une forte demande : « Notre camada est petite et vendue bien à l’avance. Cette année, dès novembre, tout était déjà réservé ! En général, nous réussissons à sortir de bons lots, et les arènes nous reprogramment d’une année sur l’autre. Cette année, la demande a été impressionnante. » En 2025, Los Maños va lidier une corrida à Soria, ainsi que quatre novilladas à Parentis, Madrid, Arnedo et Cella.

Madrid est une arène clé pour Los Maños. José Luis Marcuello en décrit les enjeux : « Toutes les arènes sont importantes, mais Madrid, c’est Madrid. Pour le meilleur et pour le pire. Passer la reconnaissance y est parfois un défi : comme je l’expliquais, le toro de Buendía n’a ni beaucoup de trapío, ni beaucoup de tête. C’est un vrai casse-tête. Mais quand tout se passe bien, l’impact peut être énorme. » Ce fut notamment le cas lors de la San Isidro 2023 : « Nous avons lidié une novillada lors de la San Isidro. Malheureusement, les toreros n’étaient pas assez préparés. Les novillos avaient beaucoup de noblesse, mais si les choses ne sont pas bien faites dès le début, ils ne chargent pas comme ils le devraient. Ils avaient le potentiel pour offrir 4 ou 5 séries de qualité, mais avec nos toros, il faut être précis dans l’exécution. »
Enfin, José Luis Marcuello revient sur les rumeurs d’afeitado lors de la novillada de Parentis 2024 : « Concernant l’afeitado, c’est totalement faux. Ici, le sol est rocheux, et les novillos peuvent facilement s’abîmer les cornes. J’avais proposé à Parentis de changer les novillos qui s’étaient abîmés les cornes, mais ils ont refusé. Et en tant qu’aficionado, j’en suis heureux ! Ils étaient intègres. » Il explique : « En été, le sol est comme du papier de verre. Ici, nous ne touchons pas aux cornes, ni pour les affûter, ni pour en enlever de la matière. Le toro reste tel qu’il est au campo, dans son intégrité. Ce qu’il fallait retenir de cette novillada, c’est que les six novillos ont embisté. C’était une novillada spectaculaire ! Une seule oreille a été coupée, et c’est dommage. »

Un entretien riche, mettant en lumière la préservation de l’encaste Santa Coloma. Dans un monde tauromachique dominé par l’encaste Domecq, Los Maños démontre que d’autres voies sont encore possibles. L’avenir des toros de Los Maños semble tout sauf sombre !
Entretien réalisé par Jean Dos Santos en Février 2025