Photo : Juan Carlos Maestre
À bientôt 35 ans, Saul Jiménez Fortes incarne la résilience et le courage dans l’univers exigeant du monde taurin. Matador depuis 2011, le torero malagueño a connu un début de carrière prometteur, flirtant avec les sommets de l’escalafon. Mais sa taurmachie exposée l’a souvent mis en danger : en 2015, il frôle la tragédie à Las Ventas, grièvement blessé au cou. Puis, en 2018, une grave blessure à la cheville le tient éloigné des arènes toute une temporada.
Malgré ces coups durs, Jiménez Fortes n’a jamais renoncé. Le 20 août dernier, dans les arènes de Malaga, il signe un triomphe retentissant lors d’un mano a mano avec Andrés Roca Rey, coupant quatre oreilles et marquant son grand retour au sommet. Aux côtés de son mentor Nacho de la Serna, il se prépare à aborder la temporada 2025 avec ambition et détermination.
Torero humble, au parcours captivant et empreint de bravoure, Jiménez Fortes nous a livré le récit de ses épreuves et de ses ambitions pour l’avenir. Un entretien riche et passionnant, qui permet de redécouvrir un matador prêt à surprendre et à marquer la temporada 2025 de son empreinte.
« Depuis ma naissance, j’ai toujours baigné dans le monde taurin. Mon père était empresario et banderillero pendant plusieurs années, tandis que ma mère, novillera avec picadors, a connu des succès importants. Elle a toréé à Arles avec Richard Milian et marqué les arènes de Barcelone ou de Pamplona. Ce que j’admire le plus, c’est qu’elle a été l’une des premières femmes « torera » espagnoles à franchir ce cap après la dictature. À une époque où il était encore plus difficile d’être une femme dans le monde des toros, elle a ouvert une voie. » débute Jiménez Fortes. Natif d’une famille très taurine donc, c’est logiquement qu’il est arrivé lui même à aspirer au costume de lumière comme il l’explique : « C’est par cet héritage familial que je suis moi aussi entré dans cet univers. Dès mon plus jeune âge, je suivais mon père dans les ganaderías, j’assistais à l’organisation des spectacles et côtoyais le milieu. Mon parrain de baptême, c’était Palomo Linares ! Ces expériences ont forgé ma passion, et à 14 ans, j’ai intégré l’école taurine pour apprendre ce métier. Deux ans plus tard, à 16 ans, je débutais en public. »
Le parcours de Jiménez Fortes reste l’un des plus classiques, avec l’école taurine et ensuite un passage obligatoire par la novillada et ses exigences : Voici une version révisée de ce passage, qui conserve le fond tout en améliorant la fluidité et l’impact du récit : « Mes années de novillero ont été marquées par une intense activité et un profond dévouement. J’ai beaucoup toréé, avec des efforts et des sacrifices constants. À cette époque, je vivais à Salamanque et je me donnais à 100 % lors de chaque novillada, animé par le désir de progresser. Le tournant décisif est survenu lors de la feria de San Isidro, face à des novillos de Flor de Jara. Ce jour-là, ma prestation m’a permis de me faire remarquer et d’ouvrir la porte à une opportunité unique : celle de prendre l’alternative à Bilbao. »
Bilbao, une arène où le torero n’avait jamais foulé le sable auparavant, mais qui arrivait à point nommé pour franchir le cap et passer dans l’escalafon supérieur. « Bilbao occupe une place très spéciale dans mon cœur. Avant d’y prendre l’alternative, je n’y avais jamais mis les pieds ni assisté à une corrida. Pourtant, cette idée seule avait un impact immense sur moi. » explique Jiménez Fortes, séduit par l’idée de devenir matador de toros au nord de l’Espagne. Après l’alternative, les corridas se sont enchaînées pour le malagueño avec quelques succès de mise à la clé « Ces années étaient empreintes de nouveauté et d’excitation. L’afición m’attendait, et j’ai su répondre présent en décrochant des triomphes majeurs, notamment à Pampelune, ou en signant des prestations marquantes à Bilbao et Santander. À Malaga, j’ai eu l’opportunité d’intégrer de bons cartels, mais je regrette de ne pas avoir été plus constant pour m’y imposer durablement. Malgré tout, j’ai continué à figurer dans les cartels les saisons suivantes, bien que souvent dans des corridas d’un rang légèrement inférieur. »
Après l’excitation des grands rendez-vous, les difficultés ont rapidement jalonné le parcours de Jiménez Fortes. Non pas en raison de mauvais résultats – même s’il le reconnaît, son épée lui a parfois coûté des triomphes importants – mais surtout à cause des blessures. « Depuis que je suis becerrista, je crois que presque chaque année, j’ai reçu des coups de corne ou subi des blessures. Cela m’a souvent obligé à toréer sans être pleinement en possession de mes moyens, ou à perdre plusieurs contrats. » Cet aveu saisissant illustre à la fois la dureté du métier et l’engagement total du torero à chaque sortie. Mais en 2015, une blessure a tout changé. Ce jour-là, le drame a plané sur les arènes de Las Ventas. « La cornada de Madrid a marqué un coup d’arrêt brutal dans ma carrière. Cette blessure au cou m’a forcé à repartir de zéro. J’ai perdu toute confiance devant le toro. C’était un véritable choc traumatique : tenir une cape était devenu presque impossible. Récupérer de cette blessure m’a demandé un immense effort. »
Il faut le reconnaître, ce parcours semé d’embûches a renforcé la reconnaissance des aficionados. Jiménez Fortes est souvent qualifié de torero de verdad, un torero qui met sa vie en jeu face à l’animal. Mais cette admiration n’a pas suffi à compenser les blessures qui se sont succédées. En 2018, trois ans après sa cornada à Madrid, Fortes se fracture le péroné lors de la Feria de Otoño. Six opérations et une temporada blanche plus tard, c’est la pandémie de Covid-19 qui vient bouleverser ses plans. Depuis 2020, il n’a toréé que 15 corridas, une situation difficile à vivre : « Depuis ma réapparition à Fuengirola en 2020, les opportunités ont été rares, presque symboliques. J’ai tout de même pu toréer à Madrid une corrida de Victorino Martín lors de la réouverture en 2021, mais une nouvelle blessure au genou m’a encore freiné. Cela m’a forcé à observer les toros depuis l’autre côté des barrières. Pendant ce temps, de jeunes toreros sont arrivés, prenant peu à peu les places que j’occupais autrefois. »
Mais la lumière est revenu le 20 août dernier où un mano a mano avec Andrés Roca Rey était le point culminant de sa Féria de Malaga. Un rendez-vous de la plus haute importance que Fortes a pu appréhender de manière positive « J’étais dans une situation très délicate, presque sans aucune opportunité de toréer. Me proposer un mano a mano dans une arène de première avec le numéro un du moment était un pari risqué. Mais j’avais confiance en moi et en tout le travail que j’avais accompli au cours de ma carrière, surtout ces dernières années où les choses n’étaient pas faciles. Je suis arrivé préparé, mentalement prêt. Pendant ces années où ma carrière semblait marquer le pas et où ma place dans l’escalafón avait chuté, je savais que ce n’était pas le reflet de ce que je pouvais offrir dans les arènes ou au campo. Chaque fois, je me sentais mieux devant les toros. Ma technique et mon expression s’amélioraient, mon travail à l’épée progressait. Je voyais mes progrès en tant que torero, alors que, paradoxalement, le nombre de contrats se réduisait. » souligne Fortes, avec beaucoup de détermination.
À la date de cette corrida, les planètes étaient alignées. Pas moins de quatre oreilles sont tombées en faveur du torero malagueño, qui a remporté son duel face à Andrés Roca Rey. Il a abordé ce rendez-vous de la meilleure des manières, ce qui a été clé pour son succès en piste. « Le savoir m’apportait une grande sécurité. Mon entraînement allait porter ses fruits et, par chance, je suis arrivé à cette corrida empli de cette confiance. C’était un scénario parfait, avec le sentiment que tout ce qui devait arriver, est arrivé. Les arènes étaient pleines, et le mano a mano avec Roca Rey a suscité un engouement incroyable. J’ai eu la chance que mes trois toros ont embisté, et j’ai su profiter de ces opportunités. »
Avant de conclure, nous avons abordé les différentes perspectives pour l’avenir, évoquant notamment un système taurin qu’il juge parfois injuste. Cependant, le torero se montre lucide et préfère se concentrer sur l’essentiel : « Le système taurin est ce qu’il est. Le but n’est pas de le critiquer, mais de donner le meilleur de moi-même. ». Il admet cependant que plusieurs facteurs influencent les opportunités, soulignant l’importance des relations et de l’apoderado : « Selon les relations que tu as ou la personne qui t’apodère, les triomphes ont plus ou moins d’impact, et ta place dans l’escalafón évolue différemment. À partir de là, je veux travailler du mieux possible, dans le respect du travail de mon apoderado et de mes propres valeurs, » insiste-t-il.
Pour 2025, le succès à Malaga et le retour de Nacho de la Serna à ses côtés devraient permettre à Jiménez Fortes de faire résonner à nouveau son nom sur la scène taurine. Avec les récents retraits de toreros expérimentés, les cartes sont en train d’être redistribuées, et certaines d’entre elles pourraient bien arriver entre les mains du torero malagueño. Des opportunités qu’il est plus que jamais prêt à saisir : « Je suis prêt à affronter ces nouvelles opportunités qui s’offriront à moi et à montrer le meilleur de moi-même, comme je l’ai fait à Malaga. Je veux être à la hauteur des attentes que les aficionados et les empresas placent en moi. C’est la seule chose qui compte. »
Jiménez Fortes n’est pas seulement un torero, il incarne la lutte, la résilience et la détermination face à l’adversité. Après des années de sacrifices, de blessures et de doutes, il revient plus fort, animé par une ambition nouvelle. En 2025, avec le soutien de son apoderado Nacho de la Serna, son avenir semble plus brillant que jamais. Sa place dans l’escalafon ne sera pas qu’un simple retour, mais le prélude d’une nouvelle ère pour un torero qui pourrait bientôt faire résonner son nom jusque dans les arènes françaises. Les aficionados attendent un torero prêt à conquérir, non seulement les arènes, mais aussi les cœurs des aficionados.
Entretien réalisé par Jean Dos Santos en Décembre 2024