A l’aube du début de la Temporada la plus importante de sa carrière, nous avons rencontré Clément Dubecq, plus connu sous le nom de Clemente dans les ruedos. Natif de Bordeaux et originaire de Pouillon près de Dax, le matador de toros français est revenu sur le devant de la scène française après une longue idylle espagnole ponctuée d’une alternative à Zamora en 2016. Il était alors accompagné de Carlos Zuñiga Padre, qui l’a accompagné tout au long de son parcours novilleril jusqu’à l’alternative.
Après plusieurs sorties convaincantes à Saint Sever puis Gamarde, Clemente s’est imposé dans le Sud Est face aux toros de Victorino Martin aux Saintes Maries de la Mer, à Châteaurenard puis à Istres devant des toros de Cura de Valverde.
Aujourd’hui apodéré par Roman Pérez, Clemente prépare la plus importante année de sa carrière qu’il poursuivra, après un premier triomphe à Gamarde fin mars, dans les arènes de Arles. Mont de Marsan, Dax pour les plus grandes arènes mais aussi les Saintes Maries de la Mer, Istres, La Brède en attendant l’officialisation de nouvelles dates si les choses continuent de bien se passer pour le matador de toros français.
Sans langue de bois, Clemente a répondu à nos questions avec beaucoup d’intérêt.
Qui est Clemente ?
Je m’appelle Clément Dubecq, je suis né à Bordeaux où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 18 ans. J’ai de la famille à Dax, et à partir de mes 15 ans, j’ai été un peu rattaché à Nîmes de part ma trajectoire professionnelle.
Au niveau tauromachique, j’ai toujours été un torero très indépendant et qui a beaucoup bougé. A 10 ans, j’ai débuté à l’école taurine d’Hagetmau avant de partir dans le Sud Est cinq ans plus tard aux côtés de Hervé Galtier qui avait monté une structure pour les jeunes.
Photos : Captieux 2014 ©Anaïs Cazenave
Tu as été apodéré pendant de nombreuses années par Carlos Zuñiga Padre, comment les choses se sont faites ?
En 2013, j’ai toréé une novillada dans les arènes d’Arnedo qui était diffusée par Canal + Toros. Ça a été une novillada importante pour moi puisqu’à la suite de cette tarde, j’ai eu 3 ou 4 apoderados qui m’ont proposé de me représenter. Je pense que sur la projection générale de tous les candidats, c’est Carlos Zuñiga Padre qui me correspondait le mieux. A ce moment-là, j’avais très peu toréé, j’avais une grosse maison qui me proposait de rentrer rapidement dans des grandes férias comme Castellon, Valencia ou Madrid alors que Zuñiga voyait plus les choses d’une manière progressive. Il souhaitait que j’acquière de l’expérience dans des arènes mineures avant de pouvoir entrer dans les grandes férias.
Tu as pris l’alternative loin de la France, dans les arènes de Zamora en 2016. Est-ce qu’avec le recul tu regrettes cette décision ?
Je ne regrette pas, ça a été un très beau jour dans ma vie. Une alternative est quelque chose d’exceptionnel et je ne la regrette pas. Après si on regarde au niveau de la gestion de carrière, on n’a peut-être pas fait les bons choix. On a misé sur l’Espagne pendant un long moment, j’ai toréé 42 novilladas piquée dont seulement 10 en France.
Est-ce que tu as le sentiment d’avoir loupé ton rendez-vous avec la France à ce stade de ta carrière ?
Non je ne pense pas, j’ai été un torero apprécié en France puisque je me rappelle de belles après-midis où l’aficion et les revisteros avaient eu des retours plutôt positifs sur mes prestations. Le problème est surtout d’être resté pendant longtemps très loin de la France, on m’a perdu de vue. C’est compliqué de pouvoir créer une vraie dynamique. Sur quatre temporadas de novillero piqué, toréer seulement dix fois en France, ce fut trop peu, surtout pour un torero français.
Après ton alternative en 2016, tu toréais seulement deux corridas supplémentaires…
Après mon alternative en Juin 2016 à Zamora, j’ai toréé en fin de saison à Santoña suivie d’une autre corrida dan les arènes de Sahagun en Juin 2017 grâce à Carlos Zuñiga qui était encore mon apoderado. En Février 2018, je prends la décision de me séparer de Carlos.
Comment se passent ces années où tu torées très peu ?
Ce sont des années très dures. Je ne suis plus en Espagne. Je rentre à Pouillon dans les Landes où mon oncle m’a permis de travailler pendant un long moment avec lui. Je n’avais pas forcément de formation, j’ai seulement un Bac général, et je cherchais à travailler pour vivre. Je me levais tôt pour pouvoir faire du sport le matin, j’allais ensuite travailler puis je m’entraînais le soir. Ca a été une routine d’abnégation pour pouvoir garder cette conviction que je n’avais pas tout dit dans les toros et que je pourrai remettre un jour les pieds dans une arène dans le futur.
Puis en 2019 est arrivée la corrida de Saint Sever. Comment les choses se sont faites ?
Il y avait une « histoire » à raconter. C’est dans ces arènes que j’ai fait ma présentation en France et ils voulaient faire une corrida 100% française. Je sais que Michel Bertrand a toujours eu du respect pour ce que j’ai fait. En tant que novillero, il m’avait engagé plusieurs fois, et en tant que matador il a compté sur mes qualités pour pouvoir me présenter au cartel d’une corrida. Ca s’est surtout fait parce que Michel Bertrand a proposé mon nom à la commission taurine de Saint Sever et que la commission a également cru en moi.
Est-ce tout aurait pu s’arrêter ?
Je ne me le suis pas forcément dit de cette manière mais c’est sûr que la corrida de Saint Sever aurait pu être la fin de mon parcours. Même s’il n’y a pas eu de triomphe, cette corrida a été l’argument pour dire : « on va lui redonner une chance ». J’avais ça dans la tête, je pensais mériter quelque chose de plus et que j’allais continuer de m’entraîner. Quand je m’entraînais, je faisais du sport dans mon petit appartement de Nîmes, je me disais, que si j’avais un tentadero avec une vache à tienter ou un toro, je serais prêt. Et cela a fini par arriver. On m’a rouvert les portes du campo en France et mon nom a sonné à nouveau.
C’est à ce moment que Jean Baptiste Jalabert et Roman Pérez m’ont vu, Romain a proposé de m’apodérer et de relancer cette magie qui s’était arrêtée juste après le Covid.
Tu as pu avoir la réputation d’être un torero « difficile » dans le choix des ganaderias ou des conditions. Est-ce que c’est seulement une rumeur ou une vérité ?
Avec Carlos Zuñiga, ça a été ça. On a eu une relation conflictuelle avec la France. On voulait me mettre mais en une année il a refusé pas mal de propositions, que ce soit par rapport à l’argent, par rapport aux cartels ou aux novillos. J’étais au courant, j’avais envie de toréer mais d’un autre côté j’étais dans l’optique de faire confiance à cette personne. J’avais à peine 19 ans, je ne me rendais pas forcément compte de tous ce qui se passaient, ma seule envie c’était toréer. A 19 ans, on n’est pas toujours en mesure d’avoir du recul là-dessus, et j’ai préféré lui laisser gérer cette partie et me focaliser sur mon toreo et le ruedo.
Aujourd’hui, te sens-tu prêt à relever le défi de la diversité d’encaste et de cartels importants, où tu alterneras avec des figuras del toreo ?
Je suis dans une période de ma vie où je me trouve, où je progresse, où je donne le meilleur de moi-même. Les figuras, je ne suis pas là pour entrer dans un combat avec elles, ils ont pour la plupart plus de 15 ans d’alternative et une maturité déjà atteinte. Maintenant, de mon côté j’ai quelque chose à dire avec ma personnalité, j’ai quelque chose de spécial qui attirait l’œil de certains de temps en temps. Je pense que c’est là-dedans que réside ma force : d’être différent, de ne pas avoir un parcours atypique et surtout de croire en ce que je fais. Dans la saison il va y avoir des cartels variés avec différents encastes avec oui, des cartels et des toreros importants. Je vais essayer de démontrer, avec ma personnalité, que je peux être à la hauteur de l’événement. Chacun à ses propres ambitions, et moi mon ambition, c’est d’arrivée en haut. Je travaille pour, je fais des « sacrifices » même si c’est pour ma passion, en partant loin de chez moi pour pouvoir atteindre mes objectifs.
Le choix de Roman Pérez était-il un risque puisqu’il n’avait pas forcément beaucoup d’expérience comme apoderado ?
Non, je pense qu’il faut savoir identifier les personnes intelligentes, qui se bougent pour que les choses évoluent. C’est une personne qui sait parler et qui sait écouter. Le monde taurin est un lieu où il y a beaucoup d’égaux, où beaucoup de gens veulent apparaître, et Romain a cette force là de prendre du recul et d’écouter, pour mettre en valeur mes qualités. C’était un moment clé de ma vie où il fallait se jeter. J’avais toujours été accompagné par des personnes plus âgées que moi, mais croire en une personne qui avait peut-être moins d’expérience mais plus d’envie et de détermination était quelque chose de bénéfique pour moi. Il me fallait quelqu’un qui croit en moi et qui avait envie d’aller au bout du projet à mes côtés.
Comment s’est déroulée la Temporada 2022 ?
Elle s’est construite au fur et à mesure. Au cours de l’hiver, on a tout fait pour pouvoir avoir Gamarde, qui pour nous était un point d’impulsion important en étant annoncé à la première corrida de l’année. On a commencé à Gamarde en coupant la première oreille de la Temporada 2022 et en finissant par la dernière à Istres. Cette corrida de Gamarde a été positive mais il a fallu attendre jusqu’à Juin pour pouvoir toréer à nouveau à Saint Sever. Il me restait un gros mois de préparation pour être prêt à affronter la corrida de Victorino aux Saintes Maries de la Mer.
Comment s’est passé la préparation de la corrida de Victorino Martin ?
Après la corrida Saint Sever, je me suis dit que j’avais un peu plus d’un mois pour préparer cette corrida vraiment spéciale. On a été chez Victorino tienter, j’ai regardé pas mal de vidéos de Victorino en cherchant à comprendre mieux, à m’attarder plus sur ce toro là, à le décrypter pour comprendre ce qu’étaient ses spécificités. Et je crois qu’on peut comprendre un Victorino que lorsqu’on y va devant. Grâce à ce tentadero j’ai vu comment chargeait cet animal. Je m’étais dit qu’il y avait des choses qui pouvaient passer devant cet animal et d’qui se sont révélées très compliquées, et au contraire des choses qui me paraissaient compliquées, qui se sont avérées plus faciles.
Lesquelles par exemple ?
C’est compliqué à expliquer… C’est un toro qui n’accepte pas le déplacement. J’ai l’impression que c’est un toro auquel il faut mettre la muleta à un endroit bien précis et qu’il ne faut plus la bouger ensuite. C’est l’une des caractéristiques les plus importantes que j’ai remarquée. C’est un toro qui n’accepte pas les « toques ». La manière de citer un Victorino doit être fait uniquement par le bas et avec de la douceur. J’ai la sensation que le « toque » rend le toro plus violent et en ayant compris ce petit détail, je pense que ça m’a permis le jour J d’être plus lucide face à ces toros.
Ensuite, il y a eu les Cura de Valverde à Istres, avec un nouvel encaste à affronter…
Je ne connaissais pas du tout cet encaste avant. J’ai découvert ce type de toros en allant tienter une semaine avant la corrida de Istres chez le Curé. C’est un encaste qui n’est pas aussi défini que celui de Victorino. Ce n’est pas forcément une préparation similaire, mais je voulais être prêt à me la jouer. Pour cette corrida, ma préparation était davantage accès sur l’état d’esprit, pour que cette dernière corrida de l’année soit quelque chose de très positif pour être un tremplin pour la temporada 2023.
En 2023, ce sont des gros rendez-vous qui t’attendent après les triomphes de l’an passé…
Oui j’en suis très heureux. A Arles, ce sera ma présentation dans une arène de 1ère catégorie en tant que matador. Il y a du monde qui m’attend au tournant, je connais les exigences de ces arènes mais d’un autre côté, c’est exactement ce que je souhaite ! Je souhaite faire partie des Férias, et c’est pour cela que je travaille et que je m’entraine. C’est une pression, mais c’est une bonne pression. Je le vis bien parce que c’est vraiment un bonheur pour moi d’être annoncé dans ces férias là.
C’est un moment où il va falloir prouver les choses et montrer que les organisateurs qui m’ont fait confiance ne se sont pas trompés. Je n’ai pas plus d’appréhension que cela, je me sens très très bien et me dis que les choses doivent arriver naturellement, en allant dans ces endroits là et en marquant les esprits.
Entretien réalisé par Jean Dos Santos le 20 mars