Toros de Núñez del Cuvillo, Garcigrande, Adolfo Martín, La Quinta (vuelta al ruedo), Juan Pedro Domecq et Vegahermosa (indulto) pour :
Enrique Ponce : deux oreilles, silence et deux oreilles et la queue
Juan Bautista : oreille, deux oreilles et deux oreilles et la queue symbolique
Il y a dans les corridas goyesques d’Arles une atmosphère particulière. De par les costumes des toreros, de par les scénographies imaginées pour décorer la piste, de par la musique choisie pour accompagner les faenas… Une atmosphère à laquelle il a fallu ajouter, samedi, la despedida de l’un des plus grands maestros de la tauromachie française, qui plus est sur son sable. Annoncés il y a un an, Juan Bautista avait prévu ses adieux. Un au revoir après 20 ans dans les ruedos. Mais personne n’aurait cru à une telle sortie de l’Arlésien. Un mano à mano avec Enrique Ponce, de retour en France pour palier la blessure d’André Roca Rey, au scénario tout droit tiré d’un compte de fée.
Un No hay billetes historique en Arles, une Marcha Real et une Marseillaise suivies d’une standing ovation après le paseo donnaient le ton d’une tarde qui est entrée dans l’Histoire. Ce n’est pas la poussière, soulevée par le peu de vent qui traversait Arles, qui a mis la larme à l’oeil à toute la plaza au moment où Juan Bautista a levé les yeux au ciel, en direction de son père, avant de faire face à son dernier adversaire. Ou même quand sa femme, à l’issue de la course, lui interpréta L’hymne à l’amour… Et que dire des frissons qui ont traversé les arènes lorsque Ponce a dédié son premier toro à celui qui était sur ses terres, ou lorsque le même maestro s’est arrêté quelques instants avant l’estocade pour applaudir la soliste qui accompagnait majestueusement sa faena face au Juan Pedro Domecq.
Clairement, tout était réuni sur une piste en hommage à Vincent Van Gogh pour une fin grandiose. Les 13 000 personnes présentes dans les gradins l’ont vite compris. D’autant qu’en ouverture, Enrique Ponce héritait d’un Nunez Del Cuvillo qui allait lui permettre d’exprimer pleinement son toréo, après quelques chicuelinas, un quite, là aussi par chicluelinas de Juan Bautista, et un brindis au maitre des lieux. Le maestro de Chiva multiplie les séries, particulièrement sur la droite, mais propose peu d’enchaînements sur la corne gauche. Une épée entière fait toutefois tomber deux oreilles, la deuxième étant généreusement accordée.
En débutant avec un excès de récompense, la présidence ne pouvait passer à côté d’un trophée accordé, là encore généreusement, au Français face au Garcigrande, malgré une pétition minoritaire. Bien que le néo-retiré des ruedos se soit employé face à un adversaire compliqué, dédié au public, il a fait face à un exemplaire qui lui donnait peu d’options. Une faena toutefois méritante, allant a mas, conclue d’un recibir osé face à un tel adversaire par une demi-lame après pinchazo.
De retour en piste contre un Adolfo Martin, Enrique Ponce n’a pas pu exploiter toutes les possibilités de adversaire. La faute certainement à une troisième pique qui n’était pas nécessaire et qui a éteint l’animal. Faena compliquée terminée par un silence après avis.
La tarde allait prendre une toute autre tournure au moment où l’exemplaire de La Quinta est entré en piste face à Jean-Baptiste Jalabert. Après l’avoir accueilli par des chicuelinas, le maestro l’envoi à nouveau à la pique depuis le centre de la piste, avant un brindis à sa femme et ses enfants. Une faena construite principalement sur la droite, accompagnée de nombreux changements de mains suaves qui ont fait frémir les travées, et conclue d’une entière par recibir après d’ultimes manoletinas. Deux oreilles et vuelta à un toro bravo. Prémices d’une fin de course majestueuse.
Car la faena dessinée par Enrique Ponce face au Juan Pedro Domecq a fait vibrer l’aficion. Offert au public, le toro est toréé avec ingéniosité, le maestro utilisant la muleta pour garder son attention. De vibrantes séries sont enchainées, à droite comme à gauche, procurant une émotion certaine face à la charge lente du toro. D’autant que Ponce conclut par sa spéciale : quelques poncinas bien senties avant une entière qui fera tomber deux oreilles et la queue, contestée par une partie du public. Mais pas illogique compte tenu de la générosité présidentielle.
Et puis est arrivé le moment tant attendu : le dernier combat de Juan Bautista. Une ovation avant de rentrer une dernière fois en piste pour affronter un Vegahermosa qui restera dans l’histoire de la tauromachie arlésienne. Après l’avoir accueilli à genou au capote, le maestro l’envoi deux fois à la pique, depuis l’autre bout du ruedo. Des appels du picador auquel le toro répond avec charge et fougue après une première rencontre qu’il avait lui même décidé. Après une réclamation unanime, Juan Bautista s’est décidé à prendre les banderilles : une seule paire, posée al violin, avant que sa cuadrilla ne pose les deux suivantes.
Les arènes ont ensuite été, semble-t-il, figées l’espace de quelques secondes, lorsque le maestro dédia son ultime adversaire à son père… Un moment chargé d’émotion, rapidement mis de côté après une entame de faena à genou contre les planches. Arles semble être hors du temps alors que Juan Bautista multiplie les séries en faisant charger le toro de loin. Un adversaire qui ne semble jamais fatiguer, permettant au maestro d’exprimer une dernière fois tout son toreo, et qui convainc le public de demander l’indulto. Après accord du ganadero, le mouchoir orange tombe…
Un rêve éveillé… Jean-Baptiste Jalabert sort par une très très grande porte, aux côtés d’un fabuleux Enrique Ponce. Un scénario magique conclu par les vocalises amoureuses de sa moitié. Et dieu sait que dans sa dernière sortie, la plaza entière lui a donné de l’amour, éternellement reconnaissante de sa carrière et de la dernière trace qu’il a laissé sur son sol. Et dire qu’il n’a pas coupé la coleta…