À Béziers, le péril du mélange des genres

Le programme en faisait saliver plus d’un. D’abord, un cartel de no hay billettes ; puis un cartel pour aficionados avec le meilleur élevage de la temporada ; un cartel de rejon pour coller aux aspirations du moment ; et un cartel 100% français avec des toros qui déçoivent rarement. Sur le papier, le cru 2024 de la féria de Béziers était prometteur. Mais comme souvent, expectation = déception. Qu’elle n’est pas la frustration de l’aficion biterroise après la clôture de la fiesta, avec un amer sentiment que le mélange des genres au plateau de Valras tourne à la mascarade. 

Depuis plusieurs années maintenant, c’est une présidence unique pour toutes les corridas. De quoi, en théorie, donner davantage de cohérence aux trophées accordés. Seuls les assesseurs changent. Pourtant, 2024 a été marqué par un nombre de décisions assez surprenantes : Roca Rey et Castella ont chacun obtenu une oreille minoritaire quand Juan Leal n’a vu aucun mouchoir tomber en dépit d’une forte pétition. À noter également que lors de la novillada piquée, Lalo de Maria s’est vu offrir deux généreux trophées à son second toro, primé d’une vuelta. Même si la présidence n’était pas la même qu’en corrida, fallait-il faire obligatoirement sortir le futur matador a hombros à un mois de son alternative ? 

Ces ouvertures de la grande porte n’ont d’ailleurs pas manqué d’interroger. À Béziers, le règlement impose deux oreilles sur un toro. N’a-t-on pourtant pas vu Sébastien Castella (oreille et oreille) sortir aux côtés d’Andrés Roca Rey (silence et deux oreilles) ? « Il se l’est ouverte tout seul », nous-a-t-on glissé à la fin de la course. Difficile pour le matador/empresa de voir un concurrent sortir seul en triomphe de ses propres arènes. Quid de l’autorité présidentielle ? Même scénario samedi avec la sortie a hombros commune pour Pablo Hermoso de Mendoza (silence, oreille et deux oreilles) et Léa Vicens (oreille, oreille et silence). Le règlement ? Quel règlement ? 

Ce ne sont peut-être que des détails, mais cela fait tache et laisse paraître un manque de sérieux dans une arène de première catégorie, alors que le pari d’Olivier Margé était réussi : no hay billettes frôlé en ouverture (12 000 personnes) et 8 000 spectateurs pour le premier 100% rejon de l’histoire biterroise. Une prise de risque payante.

Les arènes de Béziers qui frôlent le “No hay billetes”

Une autre prise de risque n’a en revanche pas été payante. Celle de ne pas bâcher la piste samedi après-midi. L’organisation n’a, semble-t-il, eu que faire des prévisions météo qui annonçaient l’averse pour 17 heures. Olivier Margé s’est défendu en affirmant que les pompiers n’avaient pas de tels éléments à leur connaissance. Que cela aurait-il coûté de mettre en place la bâche ? En 30 minutes, l’eau a inondé la piste et empêché la tenue de la corrida. Alejandro Talavante n’était pas réticent et Borja Jimenez voulait entrer dans le ruedo, ce qui n’était pas le cas de Daniel Luque. Carton rouge infligé par l’aficion biterroise. 

« Amateurisme ? Doit-on cumuler les fonctions de gestionnaire d’arènes et de gestionnaire de bodega (la famille Margé gère une bodega au pied des arènes) ? », s’interroge la Peña Oliva, l’un des clubs taurins historiques de Béziers. « On est de Béziers, on s’est juste assis sur la corrida. Mais quel mépris pour les aficionados venus de toute l’Occitanie et d’ailleurs. J’en ai vu qui ont fait 300 kms pour cette corrida », cingle l’association. Ce cartel, accompagné des Santiago Domecq, était l’affiche la plus attendue des connaisseurs. « Quand ça arrive une heure avant, que le soleil sort à 18 heures et qu’on a rien prévu, c’est à pleurer. »

Le « triomphe » des Margé en clôture, dimanche, était-il, pour sa part, prévu ? Beaucoup d’interrogations à l’issue de la dernière corrida au cours de laquelle un toro de l’éleveur biterrois a été gracié. Comme l’an dernier. Comme en 2020 lors d’un festival taurin organisé pendant le Covid. La demande n’a été que minoritaire, mais la pression exercée par le ganadero depuis le callejon était importante. Et la présidence a cédé. Ne fallait-il pas frustrer le ganadero/empresa ? Olivier Margé a reconnu avoir insisté pour demander la grâce de Neptune, arguant que c’était le dernier toro d’une lignée que l’éleveur voulait conserver. Alors, était-il nécessaire de le sortir en course, au risque de susciter l’incompréhension d’une grande partie de l’arène ? 

Le débat est infini : l’indulto est-il la conséquence d’une faena parfaite et doit être demandé par le public ou seules les qualités de l’animal doivent-elles primer au risque de froisser une partie de l’aficion ? À Béziers, la deuxième option a été retenue. 

Indulto du toro de Margé – Photo : Arènes de Béziers

Si chacun a son opinion sur la question, le sujet d’avoir des empresas juges et parties sur ce qu’il se passe en piste laisse un goût amer à une partie des spectateurs, qui jugent incohérentes un certain nombre de décisions, au profit des décideurs de la plaza. A l’heure où les arènes se replissent à nouveau et que le travail d’Olivier Margé, Simon Casas et Sébastien Castella sur les affiches tauromachiques est payant, il ferait tâche que ces diverses issues viennent entraver l’élan retrouvé à la taquilla.

Maxime Gil